Une soirée entre jeunes qui va trop loin. Comment couper cette spirale négative dans laquelle est entrainé Samuel, adolescent de 16 ans ? Le juge de la jeunesse, ses professeurs, tous soutiennent Sibylle dans ce projet de partir avec son fils dans les contrées arides du Kirghizstan pour le reconnecter à la nature, aux contacts humains directs, aux valeurs simples. Tous, sauf Benoît, son ex-mari et père de Samuel : folie pure, surtout venant d’une mère si fragile.
Mais ils partent. La longue randonnée à cheval dans les montagnes rocheuses emmène Samuel et sa mère dans une aventure risquée : celle de s’adapter à une terre parfois hostile, de rencontrer d’autres modes de vie mais aussi celle d’apprivoiser le silence pour éviter des mots qui blessent, de se recentrer sur les besoins premiers du quotidien pour renouer avec le réel.
Si la visée de Sybille dans ce projet est au départ de sortir son fils de la délinquance par une pédagogie audacieuse, ce périple lui permettra aussi d’éclairer et de comprendre les zones d’ombres qui envahissent sa vie depuis plusieurs années. Et ce, notamment, grâce au lien noué avec son fils au fil des jours et des dangers partagés.
J’ai aimé :
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la pudeur des sentiments entre Samuel et Sybille, exprimés tout en finesse par l’auteur. Très émouvant et sans aucune mièvrerie
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le parcours initiatique personnel des deux protagonistes tout au long de ce voyage
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la réflexion posée par L Mauvignier sur l’audace de rencontrer la différence, au-delà de la peur qui enferme mais qui renvoie souvent à une souffrance personnelle
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le titre de ce roman qui incite à ne jamais baisser les bras
Ils se parlent peu, ils économisent leurs forces et se concentrent sur ce qu’ils ont à faire, ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils ressentent. Les mots ici sont comme des poids morts dont on se débarrasse parce qu’ils ne servent qu’à alourdir les bagages.( …) Il avait fini par retirer ses écouteurs parce qu’il avait commencé à prendre plaisir à parler aux chevaux, à rester avec eux, à les écouter aussi – leur souffle, leurs jeux, leurs humeurs.
Et puis à ce moment-là, il serait prêt à penser que sa mère est une femme d’un courage extraordinaire, qu’elle tient tête à tout le monde, même si le plus souvent elle donne l’impression de s’effondrer à chaque secousse de vie. Mais en fait non, elle tient bon, elle continue toujours, elle tombe et se relève, et elle reprend infatigable, à chaque fois. (…) Là, maintenant, pour ce qu’elle est, ce qu’elle fait, il serait prêt aussi à croire qu’elle l’aime assez pour avoir sacrifié une maison à laquelle elle tenait, en Bourgogne, et cette idée lui traverse l’esprit que tout ce qu’elle fait c’est par amour pour lui, et cet amour, soudain, il sent que c’est toute sa motivation, toute sa raison, à elle d’être ici ; alors à ce moment-là, il est au bord de reconnaitre qu’il en est bouleversé, il pourrait oui, s’il n’avait pas si peur d’avouer qu’il aime sa mère, s’il n’était pas effrayé à l’idée de l’aimer- lui qui sait si bien qu’aimer et accepter est plus difficile qu’haïr et rejeter.
Il ne l’a jamais vraiment dit à personne, mais quelque chose en lui le dérange à l’idée de regarder dans les yeux des gens qu’il ne comprend pas, dont il ne comprend pas la langue, les usages, et qui dégagent une telle -oui, un mot, ce mot qu’il retient à l’intérieur de son esprit, ce mot qu’il voudrait étouffer en lui pour garder une bonne image de lui, mais c’est vrai, c’est là, le type le regarde et Samuel n’ose pas avouer qu’il aimerait lui balancer un coup de pied dans la gueule, qu’il aimerait que l’autre disparaisse, qu’il dégage.(…) Et ce mot refait surface, cette part de dégout parce que le type est peut-être entier dans ce mot-là, oui Samuel voudrait se cacher à lui-même, oui, la pauvreté, ce qu’elle fait éclater et qui le rend fou de rage- sa haine des autres.