Philosophe, historien et anthropologue, Eric Vuillard décide de proposer une fois de plus un « récit », le récit de la naissance du Congo.
Cupides et en soif de divertissements, les puissants européens reprennent vers les années 1850 leur exploration du monde pour conquérir de nouvelles terres et élargir leurs richesses. Une rencontre au sommet s’avère nécessaire pour tracer des lignes arbitraires sur des territoires de papier et réglementer le « libre »-échange entre gens « civilisés » … : la Conférence de Berlin se tient en 1884 pendant plusieurs mois. A la manière de Balzac, Eric Vuillard choisit de dresser le portrait des protagonistes de cette réunion : les diplomates européens tout comme les acteurs belges qui ont œuvré à la « construction » du Congo.
Alors que d’autres adoptent le point de vue des colonisés, l’auteur se place du côté de l’occupant. Non pour le défendre ni l’excuser mais pour crier l’horreur des actes commis sur des populations opprimées. Sur quel ton? Celui de l’humour grinçant et de la moquerie effrontée qui n’épargne aucun acteur de cette comédie burlesque qui tournera à la tragédie. De l’indignation aussi quand l’avidité des hommes l’emporte sur le respect du bien d’autrui, voire de sa vie. Les familles nobles qui se targuent aujourd’hui d’avoir eu un ancêtre qui a pris part à ce carnage et à ce pillage sous le couvert de la colonisation peuvent aller se cacher car Eric Vuillard n’hésite pas à les invectiver.
Pourquoi cette « petite chose », cette part d’humanité a-t-elle manqué dans le chef de ces dirigeants comme Stanley, Lemaire ou encore Fievez ? Où est la source du Mal qui a éteint la lumière du Paradis ? Où était Celui que l’on nomme et représente de tant de façons différentes à travers l’humanité ? Autant de questions qui laissent sans réponse le lecteur comme l’auteur mais qui nous invitent, nous Européens et surtout Belges, à revisiter notre Histoire.
Ainsi, cette réunion adoptera, à l’unanimité, une amusante résolution : elle crée un comité philanthropique, l’Association internationale africaine. Le tour était joué. Léopold avait réussi sa petite réunion. Il avait, comme on dit de nos jours, « vendu son projet ». L’aveuglement est une espérance horrible.