La Grande Guerre. Depuis l’anniversaire de son centenaire, expos, récits et événements commémoratifs se sont succédés. Les lendemains de guerre par contre, quels qu’ils/elles soient, ont moins souvent été traités dans les œuvres artistiques. Citons toutefois en littérature ‘L’écriture ou la vie’ de Jorge Semprun, ‘Oubliez Adam Weinberger’ de Vincent Engel ou encore ‘Au revoir là- haut’ de Pierre Lemaitre. Le chagrin des vivants, premier roman de Anna Hope, peut avoir une place de choix dans cette littérature particulière.
Trois voix, celles de trois femmes ; cinq jours, ceux qui précèdent le 11 novembre 1919. Et en filigrane un fil conducteur à travers tout le récit : l’exhumation en France d’un soldat non identifiable, son rapatriement en bateau, ensuite en train et enfin, le cortège funèbre et la cérémonie des hommages à Londres qui font de lui LE Soldat Inconnu, celui qui incarne tous les pères, frères, fils, fiancés tombés pour la patrie.
En Angleterre, en 1919, se trouvent les femmes qui ne sont pas parties mais aussi des hommes revenus du front sans séquelles physiques. La plupart de ces gens n’attendent qu’une chose : recommencer une nouvelle vie, prendre un nouveau départ et oublier. D’autres , par contre, hommes ou femmes, ont perdu une jambe, la raison ou encore un fiancé. Pour ceux-là, rien ne sera jamais plus comme avant. Ils sont marqués à vie : c’est le chagrin des vivants.
Afin de rendre hommage aux morts mais sans doute aussi à ces vivants blessés, la nation décide de célébrer le 11 novembre le sacrifice d’une nation. Peut-être cette commémoration va-t-elle permettre à tout un peuple de faire son deuil et de ré apprivoiser la vie marquée du sceau de la souffrance dans la perspective, délibérée, d’un avenir meilleur. C’est, je pense, le credo de Anna Hope dans les dernières pages de ce roman à en lire les pensées de nos trois héroïnes…
J’ai aimé
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la diversité des attitudes et des réponses apportées par les personnages face à la « perte ».
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l’écriture fine et sensible de l’auteure dont c’est le premier ouvrage !
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la recherche documentaire pointue autour de ce fait historique du Soldat Inconnu : plus jamais, je ne regarderai une stèle commémorative de guerre de la même manière.
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la croyance de Anna Hope en la résilience, une fois le chemin de deuil accompli.
Pourquoi ne peut-il passer à autre chose ?Pas seulement lui. Tous autant qu’ils sont. Tous les anciens soldats qui font la manche dans la rue, une planche autour du cou. Tous vous rappellent un événement que vous voudriez oublier. Ca a suffisamment duré. Elle a grandi sous cette ombre pareille à une grande chose tapie qui lessive la vie de toute couleur et toute joie.
Derrière les chevaux viennent les tambours, leurs instruments couverts de tissu noir. Le son du rythme qu’ils frappent est creux, assourdi.(…) L’affût porte un unique cercueil couvert d’un drapeau en lambeaux aux couleurs passées, comme s’il était resté trop longtemps au soleil. Sur le drapeau, Ada discerne le casque cabossé d’un soldat. C’est le même casque que portait Michael. Pendant une seconde stupéfiante, elle croit que c’est le sien. (…)Soudain les sanglots d’une femme retentissent, pénétrants, incontrôlables. Ils se répercutent sur les bâtiments de part et d’autre de la rue. Puis suit un autre sanglot, et encore un autre, et dans la foule qui leur fait face des centaines de mouchoirs apparaissent, d’un blanc immaculé contre le noir. (…)Et c’est alors qu’elle comprend. Ils portaient tous ce casque. Le cortège passe devant elles. Ada le regarde ralentir, le voit s’immobiliser. Il y a une accalmie avant que le silence descende, un apaisement.