C’est avec joie que je me suis plongée dans le nouveau roman de Valentine Goby, j’avais hate de retrouver la plume qui m’avait tant marquée dans Kinderzimmer. A nouveau, cette écrivain signe un magnifique roman sur la mémoire, sur les destins de femmes battantes et leur soif de liberté, sur les corps, sur la vie et la mort qui s’entrechoquent.
Au Balto, le café du village de La Roche, la vie bat son plein. Paulot et son harmonica animent le village tout entier, attirent les foules, leur font oublier les tracas de la vie quotidienne. Le Balto est le centre névralgique du village et Paulot est le cœur du Balto. Accompagné de sa femme, Odile, de sa fille ainée chérie, Annie, de son autre fille, Mathilde – celle qui n’a malheureusement pas été le garçon tant attendu et qui fera tout pour attirer l’attention de son papa – et de son petit garçon, Jacques, Paulot respire la joie et sa petite famille vit les plus belles années de leur vie où la danse, la musique et le chant tiennent la place principale.
Au Balto, le café du village de La Roche, la mort s’installe. La tuberculose s’immisce dans les poumons de Paulot, puis dans ceux d’Odile, s’insinue dans la vie de la famille Blanc, renverse tout sur son passage. Dans les années 50, la tuberculose répand la peur et les tubards deviennent les parias de la société. Paulot qui attirait les foules les repousse à présent. A une époque où la sécurité sociale ne concerne que les salariés et non les commerçants comme le couple Blanc, les dettes s’accumulent, le Balto est vendu, la famille se disloque. Les parents sont envoyés au sanatorium d’Aincourt, refuge des tuberculeux qui ressemble à un grand paquebot blanc posé au milieu de la forêt, Annie s’éloigne des siens pour fonder sa propre famille et les deux plus jeunes sont livrés aux assistantes sociales.
Au milieu de cette tragédie, il y a Mathilde. Mathilde qui est bien décidée à préserver sa famille. Mathilde qui est prête à tout pour affronter la vie, surmontant les épreuves de la faim, du froid, de la misère. Mathilde qui s’émancipe, qui lutte pour être libre, pour offrir une meilleure vie à son petit frère. Mathilde qui arrange tout, qui s’épuise, s’oublie, flanche mais jamais ne se brise. Mathilde qui est le lien entre les membres de sa famille éparpillée.
Valentine Goby nous livre un roman d’une puissance et d’une émotion rares, un hymne à l’Amour et à la Vie, un vibrant hommages aux tubards des années 1960 en marge des Trente Glorieuses, de la Sécurité sociale et des antibiotiques. A lire absolument !
J’ai aimé :
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Etre bouleversée à nouveau par l’écriture lumineuse de cette auteure dont les mots sont précis, durs et à la fois si tendres, denses, profonds, émouvants sans pour autant tomber dans le pathos.
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Le personnage solaire et émouvant de Mathilde.
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Mieux comprendre le contexte social et politique des années 50.
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Ai-je déjà mentionné la plume de Valentine Goby ?!
Qu’est-ce que c’est que ça, la tuberculose ? Le mot résonne dans le silence de la classe et personne ne l’attrape, ne pose la question. Mathilde se concentre, tord les syllabes dans tous les sens, repasse le mot dans sa tête jusqu’à en faire une bouillie de sons. Ce doit être plus grave que la bacille puisqu’on ne le chuchote même pas au Balto. Elle a chaud, assise devant son pupitre, elle pense à toute vitesse, tuberculose comme tubercule, la page du manuel de sciences lui revient en mémoire, les patates, les carottes, les navets, les betteraves dessinés en coupe sous la surface de la terre, mais quel rapport avec son père ? Toutes les images se superposent, bacilles bondissant, légumes du livre, poumon qui pleure. Muettement elle appelle le maître à l’aide, ses yeux cherchent les siens, dites que c’est pas vrai, s’il vous plaît.
Dans le car le lendemain, front appuyé à la vitre, elle voit filer le bord de la route. Mètre après mètre, sa vue se brouille. Elle se dit ça ressemble à ça ma vie, une suite d’images identiques fondues les unes aux autres, défilé gris, fuyant, infiniment recommencé. […] Hier la secrétaire un peu ivre a lancé : et toi, Mathilde, au fait ? Et moi quoi ? Elle a répondu au milieu des éclats de rire. Ca fait des lustres qu’elle n’a pas dit « je ».
Je vous ai fait de la peine, je le sais, je vous promets de ne pas recommencer. J’avais une amnésie pour le futur […]
Vous l’avez surement compris, je vous conseille vivement de lire Kinderzimmer.