Nom : Emile Choulans
Age : 12 ans
Profession du père : ?
Au début de chaque année scolaire, Emile doit remplir une fiche pour son professeur. Chaque année, il hésite devant cette case « profession du père ». Qu’inscrire pour un père qui fut tour à tour chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, pasteur et conseiller du général De Gaulle ? Son père lui avoue alors qu’il est agent secret et qu’il ne faut surtout rien dire. Mettre « sans profession » dans la fiche des professeurs. N’inviter personne à l’appartement. Se faire discret. Accepter les coups et les colères. Obéir, quoiqu’il arrive.
La vie d’Emile, jusque là balancée au rythme des humeurs de son père, de ses crises d’asthme et d’une certaine solitude, se complique lorsque de Gaulle rend l’Algérie aux Algériens. « C’est la guerre ! » clame le père d’Emile qui se sent trahi. Le président doit mourir, et c’est Emile qui va aider son père à accomplir cette mission de plus haute importance. Le jeune garçon sent alors que c’est l’occasion rêvée de prouver à son père qu’il n’est pas qu’un petit garçon qui ramène de mauvaises notes. C’est également l’occasion de rendre fier son parrain, l’espion américain Ted, qu’il n’a malheureusement jamais la chance de rencontrer mais dont il connaît les prouesses à travers les nombreuses lettres reçues. Dès lors, les missions s’enchainent : poster des lettres de menace, graver OAS sur les murs, cacher les résistants dans des caves et les entraînements se font de plus en plus intenses : pompes et enchaînements en pyjama, au beau milieu de la nuit… Mais quelle folie agite ce père? Où cela va-t-il les conduire? Émile en sortira-t-il indemne? Car oui, le père est fou, et sa femme et son fils, manipulés, se soumettent en silence à son régime tyrannique. Petit à petit, Emile grandit et tente de comprendre ce père, cette mère.
Quel roman ! Au début, on rit de cette folie, de ces situations absurdes, du délire de ce père qui ne nous paraît pas si dangereux. Mais au fil des pages, on se tait. On se tait et on sent ce malaise grandir en nous, avec un gout amer dans la bouche. On se sent comme cette mère, impuissant, témoin d’une violence rare, sans savoir comment réagir. Si le sujet de ce roman peut paraître difficile, le style de Chalandon évite au lecteur cette sensation d’étouffement que l’on pourrait ressentir. Ses mots sont justes, percutants et ont une résonance autre quand on apprend que cette histoire est en partie celle de l’auteur.
J’ai aimé :
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le regard de cet enfant, candide, crédule qui, en devenant adulte, se transforme en un regard lucide
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la plume de Chalandon qui frappe par sa force et sa justesse
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me pencher sur la psychologie de ce père enfermé dans son monde et incapable d’en sortir, entrainant avec lui le reste de sa famille
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la note d’espoir à la fin du roman : je vous laisse découvrir comment Emile réussit à se reconstruire.
Nous étions en danger, nous aussi.
– On va aller en prison ?
Ma mère a haussé les épaules. Elle avait enlevé les assiettes et balayait les miettes du revers de la main.
– Personne n’ira en prison, elle a dit.
Mon père a souri.
– La prison, pour un rebelle, c’est trois murs de trop.
Il était content de sa phrase.
– Tu comprends ce que ça veut dire ?
J’avais de l’asthme depuis ma naissance. Deux mains m’étranglaient. Ma respiration se transformait en voix rocailleuse, en plaintes, en gémissements douloureux. Dans ma poitrine une foule inquiète se lamentait. Les nuits sans sommeil, je pensais à un cortège qui avançait à la lueur des torches. Une procession de damnés qui cherchaient à sortir de ma gorge en appelant à l’aide.
Quelque chose avait changé dans la pièce, dans mon cœur. Une fenêtre invisible s’était ouverte, laissant entrer le vent, l’hiver, le froid, le soulagement, surtout. J’avais la main sur mon inhalateur, mais je respirais normalement. J’avais mis des mots sur mon silence. Et j’avais été entendu.
Je vous conseille également le magnifique Quatrième mur de ce même auteur.