Qui se cache sous le pseudonyme d’Elena Ferrante ? Inutile de le savoir pour plonger dans l’atmosphère de son roman napolitain « L’amie prodigieuse ». A l’instar de l’auteur qui ne souhaite transmettre aucun indice de son identité, Lilla quitte un jour ses proches en supprimant toute trace de son passage sur terre de plus de septante années. Lenu, son amie de toujours, estime qu’elle exagère et décide cette fois d’avoir le dernier mot : raconter leur histoire…
Dans un style simple et très visuel à la manière d’un film, Lenu nous relate dans ce premier tome d’une tétralogie la naissance de leur amitié alors qu’elles sont encore enfants ainsi que leur adolescence dans un quartier populaire de Naples. Lilla est une amie prodigieuse, brillante intellectuellement qui dégage un tel éclat que rien ne semble lui résister. Lenu est ensorcelée et leur relation nait aussitôt, faite de complicité, d’émulation mais aussi de rivalité voire d’opposition. Enfants, elles vivent le quotidien de leurs amis et de leurs familles en le réinventant sans cesse pour « échapper à cette chape qui pesait sur le quartier depuis toujours ». Ce monde est limité aux conflits entre familles, aux jalousies et aux métiers de petits commerçants et d’artisans humbles pour les garçons, ou de femmes au foyer pour les filles. La violence est partout latente et s’exprime tantôt dans la rue tantôt dans les foyers. Adolescentes, leur destin semble prendre des horizons différents mais jamais elles ne se séparent et les rares moments d’échanges restent chaque fois denses.
J’ai aimé :
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cette fine analyse d’une amitié « amour-haine » qui lie ces deux filles
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me pencher sur la psychologie de tous ces personnages secondaires enfermés dans leur monde et incapables d’en sortir.
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repérer à tous les niveaux du récit le thème omniprésent de la dualité (outre l’amitié de Lilla et Lenu) : quartier/ hors quartier, les différents clans, les relations pères/fils, les riches/les pauvres, … Tentez l’exercice, il est intéressant.
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les scènes de rue si vivantes qu’on croirait visionner un film du cinéma italien.
Je me consacrai à l’école et à un tas d’autres choses difficiles qui m’étaient étrangères seulement pour rester à la hauteur de cette gamine terrible et fulgurante.
Elle se sentait cernée par tout le mal du quartier. Elle avait même soudain cette formule obscure : le bien et le mal sont mêlés et ils se renforcent l’un l’autre.
Au bar, on donnait des coups et on en recevait. Puis les hommes rentraient chez eux exaspérés par les pertes au jeu, , l’alcool, les dettes , les échéances, et les bagarres et au premier mot de travers, ils battaient les membres de leur famille : un enchainement de fautes qui engendrait d’autres fautes.
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