Un an après les attentats de Bruxelles et la perte de leur fille, le témoignage fort* de Brigitte et Michel Visart nous appelle à croire en « la vie dans le respect de l’autre et de ses différences, la vie dans l’enrichissement que nous apporte cet autre » . Pourquoi alors ne pas plonger cette semaine dans le roman de Marc Trévidic, Ahlam, pour comprendre que la bataille contre l’intolérance et le terrorisme se livre aussi dans un pays arabe comme la Tunisie ? Pour apprendre aussi à ne pas juger à l’emporte pièce tous les Musulmans.
Paul Arezzo, le héros de ce roman, a le même souhait d’ouverture et d’unité quand, arrivé en Tunisie, il commence à apprendre la musique et la peinture aux enfants de la famille de pêcheurs avec qui il s’est noué d’amitié. Avec eux, il rêve de créer une oeuvre parfaite qui unisse tous les arts et toutes les cultures.
Malheureusement, ce rêve est déchu –malgré l’esprit d’ouverture, l’amour et la bienveillance qui règnent au début du roman- en raison de la lente montée du radicalisme qui brise des familles : en dix ans, la Tunisie est progressivement happée par un dijhadisme manipulateur et friand d’attirer des jeunes fragilisés. Ici, Issam, le jeune fils, en est la victime : il se laisse embrigader par les salafistes sous le regard impuissant de ses proches.
Face à cet extrémisme, Ahlam, sa sœur, choisit de réagir et de se battre. Le combat est inégal mais elle garde la tête haute, malgré les blessures. Avec Paul, elle veut croire jusqu’au bout que l’art et l’amour peuvent dépasser la violence. La fin semble lui donner tort… si vous fermez le livre avant l’épilogue porteur d’espoir et de nouvelle vie.
Fort de son expérience professionnelle de juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris, Marc Trévidic nous offre un récit très documenté sur les techniques d’enrôlement des djihadistes et sur la manipulation par l’image et par le discours. A côté de ce témoignage romancé, l’auteur raconte aussi avec beaucoup de finesse une belle histoire d’amitié interculturelle … qui ne restera pas sans suite.
J’ai aimé :
-
les pages d’histoire de la Tunisie allant de la fin de l’ère Ben Ali, la révolution de jasmin et ses espoirs à l’arrivée d’En Nahdha et ses déceptions
-
la complicité entre Paul et son ami pêcheur lors de leurs sorties en mer
-
l’ouverture et la curiosité intellectuelle de la maman et de la grand-mère, images des générations précédentes non endoctrinées comme le sont malheureusement souvent les jeunes Musulmanes aujourd’hui.
» Elle regarda fixement le petit tas de vêtements qui pouvait lui éviter de nouvelles souffrances. Elle fit tentée de le revêtir. Après tout, qu’est-ce que cela changerait ? Ils auraient gagné ? Quelle victoire ? Forcer une jeune femme terrorisée à se soumettre à leur volonté, flatter leur sentiment de toute-puissance ? Était-ce si mal de céder ? Elle serait la seule à se le reprocher. Son orgueil n’était pas forcément la réponse adaptée à leur folie. Mais, si elle cédait, si tous les Tunisiens étaient aussi faibles qu’elle, alors, que resterait-il de la Tunisie ? «
Allah n’avait pas besoin d’idiots. Il lui fallait des moudjahidin réfléchis et justes. Quand Nourdine lui avait présenté Issam, Ayman avait compris qu’il avait devant lui une recrue de choix. Issam était perdu. Il ne savait plus où aller. Il avait le talent, la beauté, l’intelligence. Ayman avait besoin de lieutenants. »
* Lettre à Khalid El Bakroui, lue sur la Première et publiée dans La libre Belgique le 22 mars 2017